Réemploi dans la construction: une pratique rare au potentiel gigantesque

vendredi 28 novembre 2025

Dans la construction, réemployer un matériau permet jusqu’à 99% d’économie de CO₂. Pourtant, cette démarche reste marginale. Interview de Lionel Rinquet, codirecteur de la première enquête suisse d’ampleur sur le sujet.

Réemployer plutôt que produire: dans la construction, ce principe central de l’économie circulaire reste encore l’exception. En Suisse romande, seuls quelques projets pilotes tentent de le mettre en pratique. Avec le projet REMCO, des chercheurs ont voulu comprendre pourquoi cette démarche pourtant décisive pour le climat peine à s’imposer. Parmi eux, Lionel Rinquet, architecte et professeur associé à l’HEPIA, codirecteur du projet.

Qu’est-ce qui vous a amenés, au départ, à vous intéresser au réemploi dans la construction?

Lionel Rinquet: L’idée est née d’une boutade qu’on se lançait entre collègues: «Le réemploi, tout le monde en parle, mais personne ne le fait.» À force de la répéter, on a fini par la prendre au sérieux et à vouloir vérifier ce qu’il en était réellement. D’autant que le sujet préoccupe de plus en plus les architectes et les ingénieurs. Il y a encore dix ans, l’attention portait surtout sur la réduction de la consommation énergétique pendant l’exploitation des bâtiments. Aujourd’hui, la diminution de l’impact environnemental lié à leur construction est devenue tout aussi centrale.

Pouvez-vous expliquer concrètement en quoi consistait le projet REMCO?

C’est un projet mené en collaboration entre l’HEPIA, ici à Genève, et l’HEIG-VD à Yverdon, avec une question centrale: quelles pratiques de réemploi étaient utilisées sur le territoire de la Suisse romande? Plus d’une centaine d’entretiens ont été menés auprès de maîtres d’ouvrage, d’ingénieurs, d’architectes, d’administrations publiques, d’entreprises… bref, de tous les acteurs qui gravitent autour de la construction.
À partir de là, l’analyse s’est concentrée sur cinq chantiers où le réemploi était mis en œuvre de manière professionnelle dans l’immobilier, et qui avaient nécessité un investissement intellectuel ou financier significatif. On a ensuite étudié, pour chaque projet, les implications techniques et logistiques, les circuits de la matière, les impacts économiques, ainsi que les bénéfices environnementaux en termes d’émissions de CO₂.

Et qu’est-ce que cette analyse a révélé?

Le bilan est contrasté et les projets ayant mis en œuvre le réemploi sont très rares. Et même dans les cas étudiés, le taux de réemploi reste relativement marginal. Dans le meilleur des cas, on est en dessous de 2% de la valeur totale du chantier.
Mais lorsqu’il est pratiqué, les bénéfices environnementaux du réemploi sont gigantesques. Le réemploi a toujours permis de réaliser des économies substantielles d’émissions de gaz à effet de serre.
Dans le cas des tôles, par exemple, on atteint jusqu’à 99% de CO₂ évité par rapport au neuf. Pour d’autres matériaux, c’est un peu moins spectaculaire, mais on ne descend jamais en dessous de 64% d’économie de CO₂ dans les cas qui ont été étudiés.

Quels sont les principaux freins qui empêchent aujourd’hui le réemploi de se généraliser?

Le réemploi se heurte d’abord à sa complexité opérationnelle: les savoir-faire restent limités, les standards inexistants, les procédures peu stabilisées et les méthodes de chiffrage encore trop approximatives, ce qui rend difficile son intégration dans des plannings déjà serrés. À cela s’ajoute la question des coûts, souvent plus élevés que pour du neuf. Ensuite, la gestion du risque: sur le plan légal, les matériaux réemployés ne bénéficient presque jamais de garantie, et même si certains acteurs comme Matériuum commencent à en proposer, ces initiatives demeurent exceptionnelles.

Et puis, il y a l’approvisionnement. Tout ne se réutilise pas: je vous mets au défi de réemployer de la peinture qu’on irait gratter sur un vieux bâtiment… Et les filières existantes ne sont pas calibrées pour les besoins du secteur. Les ressourceries font un beau travail, mais elles s’adressent plutôt aux particuliers et n’ont que rarement les volumes nécessaires pour alimenter de gros chantiers professionnels.

Justement, puisque les structures existent, que conseillerez-vous à un particulier qui voudrait inclure le réemploi dans ses projets de construction?

Pour un petit projet personnel, plutôt que de commencer par Jumbo ou Castorama, allez d’abord voir ce qui se fait dans les ressourceries. Il faut parfois fouiller un peu, mais on y trouve énormément de choses.
Et si le projet prend davantage d’ampleur et implique un architecte, il faut être clair dès le début: vous voulez du réemploi et il doit être inclus dans les prestations de vos mandataires. C’est quelque chose qui se prépare en amont, ça ne s’improvise pas sur le tas. Il peut aussi être intéressant de se tourner vers des bureaux qui ont déjà de l’expérience, un réseau et un vrai savoir-faire dans le réemploi, mais ça n’empêche évidemment pas d’aller voir d’autres professionnels.

Lien: HEPIA.ch

Source: reloved.media

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